Les principales propositions du rapport Machelon :

vendredi 22 septembre 2006


Nous écrivions, en janvier 2006 : "La loi de 1905 a permis de garantir le libre exercice des cultes dans une République laïque
Mais, comme un certain nombre de valeurs républicaines mises à mal, la laïcité qui a permis un équilibre depuis un siècle paraît bien fragilisée devant le « nerf de la guerre » , l’argent et les financements !!!
Le but de cette commission n’est-il pas :
 de permettre à l’État ou aux collectivités locales de financer les cultes
 de reconnaître les mouvements comme les Témoins de Jéhovah ou la Scientologie et de les financer ?
Ira-t-elle jusqu’à permettre le financement direct de l’association culturelle par l’association cultuelle ? à suivre avec vigilance avec les tenants de la laïcité de la République " . Les principaux points de la loi de 1905 qui pourraient être remis en cause sont rappelés en fin d’article .

"Les principales propositions contenues dans le rapport Machelon sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, remis mercredi au ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, également chargé des cultes :

 Sur la possibilité pour les communes de subventionner directement la construction de lieux de culte sur leur sol, la commission propose deux voies :

« La première consisterait à modifier la loi de 1905, soit en insérant un nouvel article dans son titre III (’Les édifices du culte’), soit en étendant à la construction des édifices affectés au culte public la dérogation pour les ’réparations’, prévue à l’article 19 dernier alinéa (titre IV : ’Des associations pour l’exercice des cultes’). »La seconde conduirait à insérer dans le code général des collectivités territoriales la possibilité, pour les communes et leurs groupements, d’accorder des aides à la construction de lieux de culte. La commission estime qu’il faudrait, au moins dans un premier temps, réserver cette possibilité aux communes et à leurs groupements, qui ont toujours été le cadre naturel des relations quotidiennes entre les pouvoirs publics et les cultes.«  »La commission préconise que les maires soient incités à prévoir des espaces réservés aux lieux de culte dans leurs documents d’urbanisme."

 Sur l’incitation faite aux cultes à saisir la justice en cas de difficultés à s’implanter dans certaines communes :
"Dès à présent, l’attention des préfets devrait être attirée sur les difficultés rencontrées par certains cultes pour s’implanter sur le territoire de certaines communes, afin de les inviter, en cas d’échec de la concertation, à saisir le juge administratif de manière systématique dans le cadre du déféré préfectoral.
« Pour dissuader les communes de faire un usage abusif de leur droit de préemption, qui n’est d’ailleurs pas spécifique à la matière cultuelle, il pourrait être envisagé de les obliger à consigner les fonds nécessaires, chaque fois quelles exercent une telle prérogative. »

 Sur la modification de la loi de 1905 :
« La commission recommande que l’article 13 et l’article 19 de la loi de 1905 soient mis en cohérence. Elle estime qu’il serait opportun de préciser quel type de dépenses relatives à l’entretien, à la conservation ou la réparation des édifices peuvent être prises en charge par les collectivités publiques. Il paraît notamment indispensable d’y inclure les dépenses de sécurité et de mise en conformité des édifices. »

« La commission considère par ailleurs que la qualité du propriétaire de l’édifice (association loi de 1901 ou 1905) ne devrait pas avoir d’incidence sur la possibilité pour une commune de participer à certaines de ses réparations. A l’heure actuelle, seules les associations cultuelles peuvent bénéficier de telles subventions. La commission préconise par conséquent que cette possibilité soit inscrite non pas dans la loi de 1905 mais dans le code général des collectivités territoriales afin de l’ouvrir à tout type d’association. »

 Sur l’extension du recours à un bail à très long terme et à loyer très peu élevé (bail emphytéotique administratif ou BEA) :
« La commission propose de modifier l’article L.1311-2 du code général des collectivités territoriales afin de permettre à toute association de conclure un bail emphytéotique administratif en vue de la construction d’un édifice du culte ouvert au public. »

« Pour pallier la précarité de l’affectation cultuelle de ces édifices, la commission estime préférable que soit créé un BEA spécifique avec option d’achat à l’issue du bail. La continuité de l’affectation pourrait ainsi être combinée avec la durée nécessairement limitée d’un bail emphytéotique. »

 Sur les carrés confessionnels dans les cimetières :
« Le groupement de fait de sépultures, comme somme de décisions individuelles, n’est donc pas prohibé par la loi. » (...) « Une telle approche apparaît à première vue satisfaisante aux yeux de la commission. »
En revanche, « plusieurs solutions lui semblent devoir être écartées : la délégation de la gestion d’un carré confessionnel à une autorité religieuse, qui priverait le maire de son pouvoir de police. (...) La séparation physique du carré avec le reste du cimetière ne paraît pas davantage pouvoir être envisagée dans la mesure où elle entérinerait l’existence d’un espace réservé d’inspiration communautariste. »

« Nouvelle rédaction de l’article L. 2223-13 du CGCT (code général des collectivités territoriales) relatif aux concessions funéraires : ’Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux. Il est tenu compte à cet effet des convictions religieuses exprimées par les demandeurs’. »

Dépêche AP

Jean Baubérot* écrivait en janvier 2006 :

1) La loi de séparation des Eglises et de l’Etat a été unanimement saluée lors du centenaire comme un élément fondamental de la République.

Même ceux qui ont proposé un « toilettage » ont assuré, à de nombreuses reprises, qu’il s’agissait de modifications qui n’en altéraient nullement l’esprit mais opéraient des adaptations nécessaires un siècle après.

Le fondement de la loi :
l’article 1 (liberté de conscience et libre exercice du culte sous les seules restrictions de l’ordre public) ;
l’article 2 (qui met fin au Concordat et au système dit des « cultes reconnus »)
et l’article 4 (qui respecte l’organisation propre de chaque Eglise) ne sont nullement mises en cause...

sauf que, l’article 2 n’est toujours pas appliqué sur tout le territoire de la République. En Guyane (cela paraît loin, vu de métropole, mais cela fait partie de la France au même titre que Paris !) c’est une Ordonnance datant de 1828, qui a force de loi : le catholicisme est là un « culte reconnu », et les prêtres sont salariés par l’Etat. Rien n’oblige à la perpétuation de cette situation.

En Alsace-Moselle, le catholicisme, le judaïsme et le protestantisme sont des « cultes reconnus » et les « ministres du cultes » sont salariés par l’Etat. La situation est plus complexe puisqu’il y a là maintien du Concordat signé en 1801 entre le pape et le premier Consul, Napoléon Bonaparte. Changer la situation implique des négociations. Mais le paradoxe est qu’alors que d’autres pays ont renégocié (et allégé) leur Concordat après Vatican II (l’Espagne, l’Italie, le Portugal par exemple), en France la situation semble bloquée, on ne veut surtout rien changer. Va-t-on « modifier » la loi de 1905 et laisser tel quel le Concordat de 1801 ? Avouez que cela serait fort de café ! On peut, sans être forcément partisan d’une uniformisation immédiate et complète, estimer que c’est surtout là qu’il faut entrer dans un processus de changement.

AVANT DE SONGER A « MODIFIER » LA LOI DE 1905, IL FAUDRAIT PEUT-ETRE SONGER A MIEUX L’APPLIQUER.

2) Il va se poser à la Commission un problème de méthode. La célébration aseptisée du Centenaire a eu, nous l’avons vu dans ce Blog, de nombreux impensés. Mais je ne prétends pas les avoir relevés tous et par exemple je n’ai pas eu l’occasion d’indiquer que la loi a été critiquée au moment même où elle a été votée comme étant parfois imprécise et, plus grave encore, comportant certaines « contradictions ». Or ce sont précisément ces caractéristiques qui se sont révélées, à l’épreuve du temps, faire la force et la solidité de la loi. D’autant plus que les contradictions n’en sont pas vraiment si on lit attentivement le texte. Ainsi le fait que dans l’article 2, celui-là même qui dit qu’on ne reconnaît, salarie et subventionne aucun culte, on prévoit des aumôneries payées sur fonds publics pour les lieux clos (prisons, hôpitaux, etc). Et ensuite, on met à disposition gratuitement des milliers d’églises pour l’exercice du culte. Cela signifie clairement que, quand il y a risque de contradiction, le principe de liberté de culte l’emporte sur le principe de non subventionnement. L’important est que les Eglises (= les religions) ne soient officielles, ne redeviennent pas des institutions publiques. En ce sens, aider à la construction d’un lieu de culte, pour que les gens disposent d’un endroit décent pour prier, est structurellement différent du fait de salarier un « ministre du culte ».
D’ailleurs, dés les années 1920, il y a l’érection de la grande Mosquée de Paris qui s’effectue, sous l’égide d’ Herriot, le maire radical de Lyon, laïque considéré comme intransigeant (il a, en tout cas, tenté d’appliquer la loi de 1905 en Alsace-Moselle quand il est devenu président du Conseil) avec une subvention de la ville de Paris et une autre de l’Etat.
Donc je suis en plein accord avec la méthode proposée, dès 2003, par Guy Coq : il ne s’agit pas de nier les problèmes que rencontrent notamment les protestants dans l’application (administrativement durcie ces dernières années) de la loi de 1905 et ceux que peut avoir les musulmans qui n’ont pas toujours des mosquées décentes à leur disposition, mais avant de vouloir modifier la loi, il faut bien s’assurer que les problèmes qui existent ne sont pas solubles dans le cadre de la loi (des lois, puisqu’en fait, il y a eu des lois complémentaires en 1907 et 1908) et de la jurisprudence subséquente.

POUR MA PART, JE SUIS LOIN D’ETRE PERSUADE QU’UNE SOLUTION SATISFAISANTE DES PROBLEMES QUI SE POSENT RECLAME UNE MODIFICATION DE LA LOI.

3) La loi de 1905 n’est pas, contrairement à ce que l’on a dit de façon assez plate, un « compromis ». En effet, elle est d’abord une loi de rupture en ceci qu’à partir de 1905, l’identité nationale ne comporte plus de dimension religieuse et les religions n’ont plus rien d’officiel. La loi de 1905 est d’abord une victoire de la laïcité, ne l’oublions pas (et le recours au terme de « compromis » peut nous faire croire que c’est un match nul).

Voila pour le contenant.

Ensuite le contenu lui, établit un équilibre et notamment met à égalité la liberté de croire et de ne pas croire. Sans en rien sacraliser la loi (et c’est pour cela que je ne ferme pas la porte à son examen par une Commission de « Sages »), il ne faut pas oublier qu’elle instaure un équilibre fragile, ce que j’ai appelé un « pacte laïque » sur des questions qui sont toujours très passionnelles.
Si on estime nécessaire de faire des modifications, il faudra donc soigneusement veiller à trouver un nouvel équilibre, qui soit (autant que le précédent) acceptable par tous. Ce n’est pas facile et, si elle s’engage dans cette voie, je souhaite vraiment « bon courage » et « bon travail » aux membres de la Commission pour y parvenir.
En particulier, il faudra veiller à ce que l’équilibre entre les convictions philosophiques non religieuses et les religions soit maintenu, voire (sinon cela ne vaut pas le coup de changer) amélioré. DONC ATTENTION A BIEN RESPECTER L’EXIGENCE D’EGALITE.

4) Enfin, il y a un problème de « timing ». La Commission doit rendre son rapport en juin. Mais quand : début ou fin juin ? Si son rapport est publié juste avant la coupure des vacances et que des mesures (de type réglementaire par exemple) sont prises pendant l’été, ne sera-t-on pas frustré d’un débat démocratique ?
S’il est logique qu’une Commission réunissant des personnes compétentes et qui, le plus souvent, travaillent ces questions à plein temps fasse des propositions, il faut qu’entre le temps des propositions et celui de la décision, il y ait un moment de débat démocratique où les différents points de vue puissent s’exprimer et où l’on puisse réfléchir aux propositions qui sont faites. Trois temps donc. Un court-circuit entre ces trois temps serait fort malencontreux.

DONC UN DEBAT DEMOCRATIQUE EST NECESSAIRE ENTRE LE RAPPORT DE LA COMMISSION ET D’EVENTUELLES DECISIONS.

source blog de Jean Baubérot

Avec Jean Baubérot nous demandons le débat démocratique : annonces précipitées et liberticides, politique d’exclusions, en pleine campagne électorale ... ce débat aura-t-il lieu ? Soyons vigilants !

Rappels

1-ASSOCIATION CULTUELLE
Le titre IV de la loi de 1905 définit l’association cultuelle comme une association déclarée « formée pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte » et qui devra « avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte ».
Elle est association à but non lucratif (loi du 1er juillet 1901) encadrée par la loi du 9 décembre 1905 qui définit très précisément son objet et son financement. Les associations cultuelles en régime de séparation obéissent donc à un régime dérogatoire au droit commun des associations déclarées !
Les associations cultuelles sont tenues de dresser chaque année un compte financier et un état inventorié de leurs biens .
Les associations cultuelles bénéficient des droits suivants :
 contrairement aux associations déclarées de droit commun, elles peuvent, depuis une loi du 25 décembre 1942, recevoir « des libéralités testamentaires et entre vifs destinées à l’accomplissement de leur objet ou grevées de charges pieuses ou cultuelles », et notamment des dons et legs, sur autorisation du préfet, chargé de vérifier le bien-fondé de la qualification cultuelle de l’association concernée. En outre, depuis la loi de finances initiale pour 1960, les donations et legs consentis aux associations cultuelles bénéficient de l’exonération de droits de mutation prévue à l’article 795-10° du code général des impôts ;
 l’article 49 de l’ordonnance n° 1374 du 30 décembre 1958 a instauré un régime de faveur en matière de droits de mutation à titre onéreux. Ce régime prévoit que le taux de la taxe de publicité foncière ou du droit d’enregistrement est réduit à 2 % pour les acquisitions réalisées par les associations cultuelles, des immeubles nécessaires au fonctionnement de leurs services et de leurs oeuvres sociales ;
 depuis la loi du 23 juillet 1987, les dons consentis aux associations cultuelles peuvent ouvrir droit à des déductions fiscales pour les donateurs, dans la limite de 5 % du revenu imposable pour les personnes physiques, et de 3,5 0/00 du chiffre d’affaires pour les personnes morales ;
 enfin, les associations cultuelles bénéficient d’une exonération de taxe foncière pour leurs édifices affectés à l’exercice d’un culte, depuis la loi du 14 juillet 1909 complétée par l’article 112 de la loi du 29 avril 1926. Depuis la loi du 13 janvier 1941, cette exonération s’applique à tous les édifices cultuels, y compris ceux qui ont été acquis ou construits postérieurement à 1905.
De plus, selon une jurisprudence constante, les locaux à vocation religieuse, quelle que soit la qualification juridique de leur propriétaire, sont exonérés de taxe d’habitation quand ils sont exclusivement affectés à l’exercice d’un culte public et mis à la disposition du public.
En 1999 « le bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur recense près de 470 associations cultuelles dont une centaine émanent du culte catholique, 150 ont été créées par des protestants, 12 par des orthodoxes et 7 par des arméniens, tandis que 140 concernent le culte israélite, 10 les cultes bouddhistes et une cinquantaine la religion musulmane. »
En décembre 2002 la Fédération Protestante de France comptabilisait deux milliers d’associations cultuelles protestantes ! (dont les églises évangéliques, et très récemment les adventistes )
Associations cultuelles et sectes « La principale offensive juridique menée par les sectes sur le terrain de la reconnaissance religieuse porte sur le régime de l’association cultuelle, statut qui a fait l’objet, notamment de la part de la juridiction administrative, de divergences d’interprétationutilisées par les sectes. La démarche est la suivante : plusieurs associations sectaires demandent à l’administration de bénéficier des avantages, notamment fiscaux, liés au statut d’association cultuelle et s’appuient sur le refus qui leur est opposé pour revendiquer, et parfois obtenir, auprès du juge la reconnaissance de leur caractère cultuel. » (Sources :
 Rapport de la Commission d’Enquête sur la situation financiere, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activites économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers Président M. Jacques GUYARD, Rapporteur M. . Jean-Pierre BRARD 1999).
 loi de 1905 : lien ci-dessous

2-ASSOCIATION CULTUELLE ET ASSOCIATION CULTURELLE Une deuxième association, uniquement soumise à la loi du 1er juillet 1901 et dite « culturelle » peut élargir le champ des activités de l’association cultuelle. La loi de 1905 INTERDIT à l’association cultuelle de financer directement l’association culturelle .

*Jean Baubérot - né en 1941 - est un historien et sociologue français spécialiste de la Sociologie des religions et fondateur de la sociologie de la laïcité. Après avoir occupé la chaire « d’Histoire et sociologie du Protestantisme » (1978-1990), il est titulaire de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité (1991-...) » à l’École pratique des hautes études (Sorbonne) dont il est le président d’honneur.Il a écrit 20 ouvrages dont un roman historique. Il est le co-auteur d’ne Déclaration internationale sur la laïcité signée par 250 universitaires de 30 pays
Fondateur et ancien directeur du Groupe de Sociologie des religions et de la laïcité (CNRS-EPHE (1995-2001))