Lettre aux « enseignants » ou aux « éducateurs » de...

samedi 16 septembre 2017


Lettre aux « enseignants » ou aux « éducateurs » de deux présidents de la République

source Médiapart le 8 sept. 2017
Par claude lelièvre
Blog : Histoire et politiques scolaires

Macron vient d’envoyer une « lettre aux enseignants ». Il y a tout juste dix ans, Sarkozy avait envoyé une « lettre aux éducateurs » (sans précédent pour un président de la République). La comparaison entre les deux ne manque pas de sel. D’autant plus que Blanquer a été DGESCO, presque vice-ministre, durant la dernière partie du ’’quinquennat Sarkozy’’ et qu’il est l’actuel ministre de l’EN.

La lettre de Nicolas Sarkozy du 5 septembre 2007 n’est pas une lettre aux « enseignants » mais aux « éducateurs » : « La refondation de notre éducation, ne pourra être accomplie qu’avec le concours de tous les éducateurs. La volonté politique ne peut suffire à elle seule. C’est pourquoi je m’adresse à vous […]. Il faut pour que nous réussissions que chacun d’entre vous se fasse un devoir de travailler avec les autres. Entre le père, la mère, le professeur, le juge, le policier, l’éducateur social, et tous ceux qui sont en contact avec l’enfant dans le milieu sportif, culturel, associatif, l’intérêt de l’enfant doit l’emporter sur toutes autres considérations. La confiance, la coopération, l’échange, l’esprit de responsabilité doit régner ».

Cette lettre de Nicolas Sarkozy repose sur de longues considérations (souvent fort ’’générales’’) sur ce que doit être l’éducation. On ne retiendra que quelques passages plus engagés, car la « Lettre aux éducateurs’’ de Nicolas Sarkozy (au contraire de la « Lettre aux enseignants » d’Emmanuel Macron ) est fort longue.

« Jadis l’instituteur, le professeur avaient une place reconnue dans la société parce que la République était fière de son école et de ceux auxquels elle en avait confié la charge. Dans l’école de demain vous serez mieux rémunérés, mieux considérés et à rebours de l’égalitarisme qui a trop longtemps prévalu, vous gagnerez plus, vous progresserez plus rapidement si vous choisissez de travailler et de vous investir davantage.

Vous pourrez choisir la pédagogie qui vous semblera la mieux adaptée à vos élèves parce que je crois qu’il faut faire confiance aux enseignants, à leur capacité de jugement, parce qu’ils sont les mieux placés pour décider de ce qui est bon pour leurs élèves. Les établissements dans lesquels vous enseignerez auront une plus grande autonomie dans le choix de leur projet, de leur organisation. L’évaluation sera partout la règle et les moyens seront répartis en fonction des résultats et des difficultés que rencontrent les élèves [...]

Je souhaite faire de la revalorisation du métier d’enseignant l’une des priorités de mon quinquennat parce qu’elle est le corollaire de la rénovation de l’école et de la refondation de notre éducation [...]. Dans l’école que j’appelle de mes voeux où la priorité sera accordée à la qualité sur la quantité, où il y aura moins d’heures de cours, où les moyens seront mieux employés parce que l’autonomie permettra de les gérer davantage selon les besoins, les enseignants, les professeurs seront moins nombreux »

« Parents, vous êtes les premiers des éducateurs […] Je veux vous dire que le droit à la garde d’enfants et la maternelle seront pour moi, au cours des cinq années qui viennent, des priorités et que je suis décidé à faire en sorte que plus aucun enfant ne soit livré à lui-même une fois la classe terminée afin que vous puissiez achever votre journée de travail sans éprouver l’angoisse de savoir votre fils ou votre fille sans surveillance, sans encadrement. Désormais les devoirs seront faits à l’école, en études surveillées et, pour les bons élèves issus des familles les plus modestes qui ne peuvent pas offrir à leurs enfants un cadre propice à l’étude, des internats d’excellence seront créés. »

« On a sans doute trop critiqué l’apprentissage par coeur qui a son utilité dans l’entraînement de la mémoire. Et qui peut se plaindre d’avoir gravé dans son souvenir quelques fables de La Fontaine ou quelques vers de Verlaine ou d’avoir appris à se repérer dans la chronologie de l’histoire de France ? [...]. Mais la culture véritable exige davantage que la récitation [...] Il ne faut pas cloisonner, isoler, opposer les différentes formes de savoir. L’enseignement par discipline doit demeurer parce que chacune a sa logique propre, parce que c’est le seul moyen d’aller au fond des choses. Mais il faut le compléter par une vision d’ensemble, par une mise en perspective de chaque discipline par rapport à toutes les autres [...] Je ne suis pas pour la globalisation du savoir qui mène à la confusion. Mais je crois que l’interdisciplinarité doit trouver sa place très tôt dans notre enseignement parce que l’avenir est au métissage des savoirs, des cultures, des points de vue. Je crois que là se trouve l’une des clés de notre Renaissance intellectuelle, morale et artistique »

« En même temps, il nous faut élever le niveau d’exigence, non pas en quantité mais en qualité. Au lieu de mettre en place une sélection brutale à l’entrée de l’université qui serait une solution malthusienne, il nous faut élever progressivement le niveau d’exigence à l’école primaire, puis au collège et au lycée. Nul ne doit entrer en 6e s’il n’a pas fait la preuve qu’il était capable de suivre l’enseignement du collège. Nul ne doit entrer en seconde s’il n’a pas fait la preuve qu’il était capable de suivre l’enseignement du lycée et le baccalauréat doit prouver la capacité à suivre un enseignement supérieur. Ce sera un long travail qui ira de la reconstruction de l’école primaire à celle du lycée"

Il y aurait à l’évidence beaucoup à dire quant à la réalisation effective ou concrète de ces considérations durant le ’’quinquennat Sarkozy ’’…Il y aurait aussi beaucoup à dire quant à la récurrence de certaines de ces considérations, en particulier dans les propos du ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer. Mais le plus urgent (pour comparer et mettre en perspective) est sans doute de donner à lire des extraits significatifs de la « Lettre aux enseignants » que vient d’envoyer Emmanuel Macron (une ’’lettre’’ beaucoup plus courte, mais fort significative à bien des égards).

Extraits choisis. « Nous prenons avec le Premier ministre Edouard Philippe et votre ministre Jean-Michel Blanquer (l’engagement) de transformer l’École comme cela n’a jamais été fait, c’est-à-dire avec vous . C’est pourquoi nous voulons vous redonner, à vous ainsi qu’à tous les acteurs de terrain, la capacité d’innover, de déployer les méthodes dont l’efficacité a été mesurée afin de créer les conditions concrètes de la réussite de tous les élèves . Cet esprit guidera nos prochaines initiatives [...] Nous irons beaucoup plus loin dans la lutte contre les inégalités . A l’issue des rentrées 2018 et 2019, les classes de CP et de CE1 de ces réseaux auront vu leurs effectifs divisés par deux [….] Nous irons beaucoup plus loin pour que le collège et le lycée préparent mieux nos enfants à l’enseignement supérieur et à la vie active [...] La rénovation de l’enseignement professionnel et le développement de l’apprentissage serviront cette ambition ». Le baccalauréat sera « refondé » « pour mieux préparer à la poursuite d’études ». La formation des enseignants « doit être davantage nourrie par les recherches scientifiques, les expérimentations et la comparaison internationale ».

« On ira plus loin.. » On est en marche.

Cette « Lettre aux enseignants’’ d’Emmanuel Macron est en tout cas fort singulière. D’abord parce qu’elle est est unique : c’est la première de la part d’un président de la République, même si l’on s’est habitué aux lettres adressées par des ministres de l’Education nationale (et Jean-Michel Blanquer n’a pas manqué de se précipiter pour en faire déjà une). On pourrait objecter qu’il y a déjà eu celle de Nicolas Sarkozy, il y a tout juste dix ans. Mais il s’adressait, lui, ostensiblement à »tous les éducateurs". La deuxième singularité de cette lettre d’Emmanuel Macron, c’est qu’elle s’adresse exclusivement aux enseignants. Doit-on penser que le chef de l’Etat a pris la mesure de l’agacement voire de la défiance d’un nombre croissant d’enseignants en raison de certaines annonces ou d’interviews d’un ministre tout occupé à gagner de la notoriété voire de l’adhésion auprès de ce qu’on appelle l’’’opinion publique’’ ? S’agit-il de rappeler aussi qu’il est le ’’patron’’, là comme ailleurs, à l’instar de Valéry Giscard d’Estaing dans sa conférence de presse du 14 juillet 1974 à l’égard de son ministre de l’Education René Haby (un ancien recteur, comme Jean-Michel Blanquer ) ?