Procédure disciplinaire engagée à l’encontre des professeurs La liberté pédagogique en question

samedi 16 septembre 2017


L’Affaire des « tableaux noirs » au collège Albert Camus de Gaillac
Les faits

La rénovation du collège Albert Camus de Gaillac est programmée de longue date.

La première et la seule réunion de concertation entre l’équipe technique du Conseil Général et les professeurs du collège Albert Camus de Gaillac dans le cadre du projet de rénovation remonte à plusieurs années (2010). Elle a été obtenue parce qu’une partie des professeurs a insisté. Lors de cette réunion, il avait été dit par le responsable technique du Conseil Général, qu’à l’issue de la rénovation, le collège bénéficierait exactement du même produit que le nouveau collège de Gaillac qui sortait alors de terre : le collège Taillefer, et ce jusqu’au moindre détail. C’est ainsi que dès cette époque, il avait déjà été envisagé de se débarrasser de tout le matériel existant.
Depuis, aucune concertation directe n’a eu lieu avec les enseignants. Les professeurs n’ont eu que des échos lointains de ce qui allait se produire.

Les travaux ont commencé en 2016 par le second étage.

Le démarrage du chantier ne nous a guère laissé de temps pour « sauver les meubles ». En juin 2016, des armoires, des tables, des chaises qui auraient pu être récupérées pour l’usage du collège ou par d’autres usagers ont été balancées sans ménagement des fenêtres directement dans des bennes destinées à la décharge. Tous les tableaux noirs ont été jetés. Nous n’avions pas été consultés.

Forts de cette expérience, des professeurs essaient d’anticiper les travaux futurs qui allaient affecter le premier étage du collège (pôles Mathématiques, Lettres, Langues, Histoire-Géographie). Rien n’a été fait pour leur faciliter les choses et ils ont dû tout anticiper, tout classer, tout déménager eux-mêmes. C’est ainsi que dès décembre 2016, la direction est alertée sur nos besoins d’espace pour stocker le matériel. Nous n’obtiendrons que quelques mètres carrés pour cela … en avril 2017.

Dans le même temps, les professeurs qui avaient besoin de conserver leur tableau noir pour des raisons pédagogiques (dans plusieurs matières et principalement en mathématiques et en histoire-géographie) ont anticipé la destruction de leur outil de travail : ils disposaient alors de tableaux d’au moins quatre mètres de long et de bonne qualité.

Ils ont donc plaidé pour leur conservation, d’abord oralement auprès de la direction de leur établissement. Celle-ci leur a alors suggéré d’écrire en ce sens au conseil départemental. En avril 2017, ils ont donc constitué un mémorandum où ils exposent leurs principaux arguments. Ce document a été porté à la connaissance de l’ensemble des personnels, affiché en salle des professeurs, et a fait l’objet d’une réunion ouverte à tous les personnels. Aucune opposition à son contenu et à son envoi ne s’est fait connaître. Il a donc été envoyé au Président du Conseil Départemental et au responsable technique du CD, comme nous l’avait suggéré notre direction. Les professeurs ont ensuite continué à plaider cette cause oralement auprès de la direction, espérant son soutien auprès du conseil départemental.

Courant mai, un document a été affiché sur une table en salle des professeurs. Chaque enseignant était invité à s’exprimer sur son choix des tableaux avec lesquels il souhaite travailler. Trois choix s’offrent à eux : uniquement des tableaux blancs, des tableaux blancs avec une partie rabattable en noir ou un tableau blanc avec un tableau noir : tout ce matériel devait être neuf. De fait la demande des professeurs de conserver leurs tableaux noirs (longs de 3 ou 4 m) ne figurait pas parmi ces choix. Ce qui explique le refus de s’exprimer de certains professeurs. Quant à d’autres, estimant qu’un bout de « noir » valait mieux que rien du tout, ils avaient coché « tableaux blancs avec rabat noir » (les termes ne sont pas tout à fait exacts). La plupart des collègues ne se sont pas exprimés. Ceux qui l’ont fait ont pensé que le conseil départemental les entendait enfin et leur laissait ainsi le choix de leur outil pédagogique (du moins dans un certain périmètre). Or quelques jours après, ils apprennent au gré des « bruits de couloir » qu’un conseil d’administration s’était réuni et avait voté pour l’équipement du collège uniquement avec des tableaux blancs. Pourquoi ? Parce que ceux qui avaient choisi l’option avec un « bout de tableau noir » étaient minoritaires. Ce n’était donc pas un « choix » qui s’offrait aux professeurs mais un vote au terme duquel la majorité imposerait un outil pédagogique à tous. La procédure n’a pas été portée à la connaissance des personnels. Les professeurs ont cherché à comprendre ce qui s’est réellement passé en se mettant en quête du compte-rendu du CA. Celui-ci n’a jamais été porté à leur connaissance, comme du reste l’ensemble des CR des CA qui doivent figurer dans un classeur en salle des professeurs. Le dernier compte-rendu du CA du collège figurant dans ce classeur est celui de novembre 2016. Choqués par le procédé, des professeurs interpellent alors la direction qui leur dit que des arrangements étaient possibles avec quelques tableaux noirs sur roulettes (comme ceux qui sont en salle des professeurs) pour les professeurs qui le souhaitaient. Ce sont des tableaux qui feraient un peu plus d’un mètre de long. Il n’est pas nécessaire d’être professeur pour se rendre compte que la proposition n’a encore rien à voir avec les tableaux de 3 ou 4 mètres utilisés jusqu’à présent par les professeurs pour faire co-construire avec leurs élèves les démonstrations, croquis, figures, frises, organigrammes ….

Le 22 mai, un mail est adressé au responsable technique du Conseil Départemental pour lui demander de tenir compte de notre demande de conserver les tableaux noirs existants qui sont en très bon état. Ce mail est resté lui aussi sans réponse.

Choqués par la méthode, les professeurs concernés rédigent le 5 juin 2017 une lettre ouverte pour attirer l’attention du conseil départemental sur leur demande restée toujours sans réponse, en impliquant cette fois-ci des parents d’élèves et la FCPE du collège. Le gestionnaire est informé par mail de la démarche : une copie de la lettre lui est envoyée. Il la transmet au chef d’établissement tout en s’étonnant de la démarche : la direction n’est pas, selon lui, informée de la demande de conserver des tableaux noirs. Or c’est bien elle qui a suggéré d’écrire au CD pour formuler la demande. Par ailleurs, les mails prouvent que le gestionnaire a été destinataire de tous les mails concernant les tableaux noirs. Enfin, tous les courriers émanant des professeurs en direction du conseil départemental sont toujours affichés en salle des professeurs et donc accessibles à tous et a fortiori à la direction.

La direction informée de l’envoi imminent de ce courrier, assurait dès le surlendemain que le matériel serait récupéré par d’autres collèges et que ce qui ne serait pas transféré serait concédé au FSE (Foyer socio-éducatif). Les professeurs s’étonnent toujours que les tableaux noirs ne figurent ni sur la liste du matériel transféré (qui ne concernait que des tables et des chaises) ni sur la liste du matériel concédé au FSE. Toujours aucune réponse n’a été donnée quant à leur sort, ni par écrit ni par oral.

Le 14 juin, un professeur écrit une ultime lettre au gestionnaire. Il lui demande de transmettre sa demande à toute l’équipe de direction afin d’obtenir une réponse précise :

« Alors, une dernière fois, je vous demande de bien vouloir répondre clairement à cette question : « les grands tableaux noirs du collège peuvent-ils être conservés et refixés dans les futures salles où seront affectés les professeurs de mathématiques et d’Histoire-Géographie qui en ont besoin pour TRAVAILLER ? »

Toujours aucune réponse. Dans la semaine qui suit, deux professeurs demandent à Mme La Principale de bien vouloir les suivre dans leur salle pour plaider in situ la cause des tableaux noirs. Ils lui disent qu’en l’absence de réponse, des collègues se verraient obligés d’agir pour préserver eux-mêmes leur outil de travail : ils seraient contraints de venir eux-mêmes les démonter, les mettre à l’abri le temps des travaux puis pour les refixer à la rentrée dans quelques salles. Mme La Principale répond :

« ça m’étonnerait que le Conseil Général vous laisse percer des trous ».

Dans la semaine suivante, soit in extremis, les professeurs reçoivent l’ordre de débarrasser toutes leurs affaires personnelles pour le 27 juin, ce qui resterait serait considéré comme « des déchets à jeter ». Les professeurs avaient cours et conseils de classe jusqu’au 27 au soir, ils ont donc demandé un délai pour trier, classer, ranger et déménager (ou la banalisation de la journée du 27). Rien à faire. Dans le contexte de la canicule, il leur a fallu mener cette double mission et c’est ce calendrier qui les a obligé à revenir finir le « déménagement » le mercredi 28, comme prévu par le calendrier de la direction.

Soulignons le : Ils avaient pris la peine de vérifier que les tableaux ne figuraient ni dans la liste du matériel cédé à d’autres établissements, ni des objets cédés au FSE. En toute logique, et en conformité avec les directives portées à leur connaissance, ils étaient donc destinés à être jetés comme ce fut le cas de tous les tableaux noirs du second étage l’année précédente (au contraire des tableaux en liège pour lesquels ils ont eu un engagement oral qu’ils seraient stockés pour être réutilisés et qu’ils n’ont donc pas touchés). Enfin, ils n’ont jamais reçu de réponse concernant leur demande, ni du conseil départemental, ni de la direction. Il ne leur a jamais été notifié ni par oral ni par écrit qu’ils n’étaient pas autorisés à réutiliser les tableaux noirs sur lesquels ils travaillent.

La décision est prise alors de terminer ce déménagement (c’est le terme utilisé par la direction dans le calendrier de fin d’année) le mercredi matin. Un certain nombre de collègues et de parents ne sont pas disponibles, c’est la même chose pour le mercredi après-midi : certains collègues sont invités à participer à des réunions, mais c’est finalement ce moment-là qui est choisi car il permet de réunir le plus de collègues. Six professeurs pouvaient être présents parmi la dizaine qui s’était proposée.

Mercredi 28 à 14 :00, onze personnes (parents et professeurs) sont venues dévisser les tableaux noirs, dans l’intention de les mettre à l’abri durant l’été pour les réinstaller à la rentrée. Arrivés à 14 :00, ils sont entrés dans le collège et ont commencé par prendre un café en salle des professeurs. Ils ont salué Mme la principale et son adjointe qui finissaient leur service. Elles n’avaient pas encore déjeuné, leur disent-elles et attendaient donc avec impatience M le gestionnaire qui devait les relever à 14:00. Le chantier démarre. Les tableaux, deux écrans blancs enrouleurs (supports allant de pair avec les tableaux noirs destinés à la projection) et des rails à cartes sont démontés et transportés dans une camionnette. Sont également chargées une vieille armoire ainsi que les vieilles chaises (objets cédés au foyer ayant trouvé acheteurs). Le « déménagement » s’est fait calmement en présence de Mme la Principale qui n’a fait aucun commentaire par rapport à ce qui se déroulait sous ses yeux : des professeurs et parents qui transportaient les tableaux noirs. Jusqu’alors (14h50), à aucun moment il ne leur a été demandé leur identité, ni de cesser leur activité, ni de quitter l’établissement.

Alors qu’ils terminaient, M le gestionnaire est arrivé et leur a demandé de quitter les lieux et de restituer au collège le matériel qu’ils allaient mettre en lieu sûr.

C’est alors que nous nous dirigions vers la camionnette que trois véhicules de gendarmerie sont arrivés sur le parking du collège. En sont sortis une douzaine de gendarmes qui se sont déployés. Sur leur chemin, ils avaient déjà intercepté avec gyrophare une voiture partie plus tôt. Ils ont relevé les identités et les adresses. Professeurs et parents ont fait sous le contrôle des gendarmes l’inventaire des objets qu’ils ont remis dans le hall du collège. Ils leur ont demandé de les suivre à la gendarmerie pour prendre les dépositions puisqu’une plainte a été déposée pour « cambriolage ». Puis ils se sont ravisés : l’emploi du temps de la gendarmerie ne permettait pas d’entendre tous les protagonistes dans l’après-midi.

Développement de l’affaire entre juillet et août 2017
Une audience a été demandée à la DASEN du Tarn ainsi qu’au président du Conseil départemental du Tarn afin de leur fournir les faits tels qu’ils sont exposés ci-dessus. Le premier refus est venu de la DASEN arguant que l’affaire était à présent dans les mains du rectorat. Le refus du président du Conseil départemental se fonde sur la procédure judiciaire en cours dans laquelle il ne veut pas s’immiscer.

Les convocations en gendarmerie en vue d’une « audition libre » sont parvenues aux concernés dans la semaine du 24 juillet, considérant pour chacun « qu’il (elle) est soupçonné(e) d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction d’intrusion en milieu scolaire et de vols aggravés. »
La première audition a eu lieu le jeudi 27 juillet et a concerné un parent d’élève. C’est à ce moment là qu’ils découvrent que la plainte vise uniquement les enseignants, les parents présents ne sont entendus que comme témoins.
Les professeurs visés par la plainte ont, eux, subi les relevés d’empreintes, les photographies biométriques et la perquisition à leur domicile.

C’est également au cours de ces auditions et perquisitions qu’ils apprennent que les gendarmes sont à la recherche d’objets volés pour lesquels l’établissement a fourni une liste : deux tabourets, deux tables d’écolier, des chariots. Les interrogatoires ont également laissé entendre que des objets volés auraient été entreposés dans un local du collège (sous-entendu, en vue de leur exfiltration ultérieure). Or ce sont justement des professeurs qui ont obtenu (après moult interventions) du chef d’établissement que cet espace puisse recueillir temporairement le matériel pour leur mise en sécurité lors des chantiers. La liste de ces « objets volés » et mis à l’abri dans ce local est assez précise. Elle est portée à la connaissance des auditionnés : trois chaises à roulettes, deux tableaux blancs, une lampe halogène … un clavier d’ordinateur. Les professeurs s’étonnent : ils y avaient entreposé bien plus que cela et notamment du matériel informatique.

Le jour de la rentrée, vendredi 1 er septembre 2017, les six professeurs apprennent qu’une enquête administrative est en cours. Ils sont convoqués par le secrétaire général adjoint du Rectorat de Toulouse et Directeur des Ressources Humaines les 6 et 8 septembre.

Tableaux noirs, Gaillac, 5 septembre 2017

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Pour soutenir nos collègues de l’enseignement public, signer la pétition :
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