Réforme de l’évaluation : « Les enseignants seront désormais sur un pied d’égalité »

lundi 2 janvier 2017


Le sociologue Xavier Albanel décrypte le projet de réforme d’évaluation et d’avancement des professeurs proposé par le ministère de l’éducation nationale.

Le ministère de l’éducation nationale veut transformer le système d’évaluation des professeurs. Un projet de réforme vient d’être présenté aux organisations syndicales pour une application en 2017. Il prévoit un rythme plus régulier d’inspection, avec quatre « rendez-vous de carrière » au cours desquels les enseignants pourraient bénéficier de promotions. Le sociologue Xavier Albanel, auteur de l’ouvrage Le travail d’évaluation. L’inspection dans l’enseignement secondaire (Octarès, 2009), décrypte ce projet.

Quatre « rendez-vous de carrière », plus d’accompagnement de la part de l’inspecteur… Le projet de réforme de l’évaluation des enseignants bouleverse-t-il le modèle actuel ?

Xavier Albanel : Dans l’ensemble, il me paraît assez modeste. L’inspecteur continuera à venir en classe pour expertiser un cours, et l’équilibre des rôles entre l’inspecteur et le chef d’établissement n’est pas bouleversé. La réforme peut néanmoins permettre aux enseignants d’être davantage accompagnés par les inspecteurs. Ce qui est, aujourd’hui, peu le cas.

D’une part, le caractère occasionnel de l’inspection – tous les cinq ans en moyenne – ne permet pas la mise en place d’un réel suivi. D’autre part, le fait que l’inspection débouche sur un jugement et sur une note dont dépendra l’avancement dans la carrière conduit les enseignants à donner, durant l’heure d’inspection, la meilleure image d’eux et à taire leurs difficultés, se privant ainsi d’une occasion d’être aidés.
Le projet vise à déconnecter davantage l’inspection de la note : en dehors des quatre rendez-vous de carrière, l’inspecteur viendrait rendre visite aux enseignants sans enjeu de promotion, pour accompagner la mise en place d’un projet, conseiller sur de nouvelles pratiques…

Le projet conduit-il à une rémunération davantage fondée sur le mérite ?

Rappelons qu’aujourd’hui, la part d’évolution de carrière au « mérite » est faible. Trois rythmes d’avancement sont possibles, en fonction des résultats de l’évaluation : « à l’ancienneté », « au choix » et au « grand choix ». Théoriquement, la différence de salaire entre celui qui a fait toute sa carrière à l’ancienneté et celui qui a avancé au grand choix est importante : on dit que c’est l’équivalent du prix d’une maison ! Or, dans les faits, la procédure fait qu’il y a plutôt un nivellement des notes. Un inspecteur aura, par exemple, tendance à attribuer une bonne note à un enseignant qui n’a pas été vu depuis longtemps, afin de compenser le retard qu’il aurait pu prendre dans sa progression de carrière. On est donc plus dans une logique d’égalité de traitement que d’évaluation au mérite.

Avec la réforme, le changement important réside dans le fait que les professeurs seront désormais sur un pied d’égalité, puisque tous seront soumis au même rythme d’inspection. Ce nouveau cadre devrait permettre aux inspecteurs de différencier plus facilement les enseignants au plan de la note et favoriser un peu plus qu’aujourd’hui une rémunération au mérite. Reste à savoir ce qu’on définit par mérite et comment on le mesure quand on parle du travail enseignant…

Lors des rendez-vous de carrière, l’inspecteur et le chef d’établissement jugeront le travail de l’enseignant sur la base de onze critères. Quelle analyse en faites-vous ?

Les critères à la charge de l’inspecteur sont assez proches des critères actuels : la maîtrise des savoirs et leur didactique, la capacité à mettre en activité ses élèves, à prendre en compte leur diversité… Ils restent centrés sur le face à face élèves-enseignant. Le chef d’établissement évaluerait, lui, l’implication dans la vie de l’établissement, la coopération avec les parents…

Je ne dirais pas que le projet de réforme marque une entrée en force du chef d’établissement dans l’évaluation. D’abord, parce qu’il attribue déjà une note administrative aux enseignants. Ensuite, parce que l’appréciation de l’inspecteur reste prépondérante. Par contre, ce projet véhicule un peu plus l’idée que le travail enseignant ne doit pas se limiter au périmètre de la salle de classe et que les professeurs doivent s’engager dans du travail en équipe, dans des projets d’établissement, etc. Beaucoup le font déjà. Ce projet formalise, d’une certaine façon, cette évolution du métier.

Une réforme de l’évaluation était-elle souhaitée au sein de la profession ?

Quand les enseignants parlent de l’inspection, ils se montrent d’abord plutôt critiques. Ils estiment que le rythme des inspections est très irrégulier – certains sont évalués tous les trois ans, d’autres tous les dix ans –, ce qui est source d’iniquité de traitement. Ils déplorent aussi que l’heure de cours qui est soumise à l’inspection n’est pas forcément représentative du travail quotidien. Ce qui ne les empêche pas, dans le même temps, de surpréparer la leçon, de déployer un maximum d’énergie et donc, finalement, de proposer un cours peu ordinaire ! Ils parlent enfin d’une heure stressante, souvent perçue comme infantilisante, où ils vont se retrouver un peu comme des élèves face à leur professeur ! Pourtant, on perçoit aussi chez eux un réel attachement à l’inspection.

Ils sont donc critiques mais aussi attachés à cette procédure. Pourquoi ce paradoxe ?

Le dispositif actuel est perçu comme protecteur, à plusieurs titres. D’abord, le fait d’être jugé par une personne extérieure à l’établissement, ancien enseignant de sa discipline, garantit un jugement neutre, tandis que le jugement d’un chef d’établissement pourrait être biaisé par des règlements de comptes personnels, induire de l’arbitraire. L’inspection est aussi garante de la liberté pédagogique : au fond, c’est une heure un peu angoissante, mais une fois passée, on retrouve son autonomie ; il n’y a pas d’autres formes de contrôle.

Enfin, l’inspection consacre les aspects disciplinaires du métier : l’inspecteur évalue avant tout le travail dans la classe, le rapport à la discipline – ce que les enseignants perçoivent comme le cœur de leur métier –, et met de côté les autres aspects comme le travail collectif, les relations avec les parents… Ils perçoivent comme une menace l’intrusion d’un chef d’établissement qui ne connaît pas leur discipline et viendrait plutôt évaluer ces autres facettes du métier. Derrière les débats sur l’évaluation des enseignants, ce sont toujours deux conceptions du métier qui s’affrontent.

Source : Aurélie Collas in le Monde l’Education, du 20/09/2016