Le Collectif national pour le Retrait de Base Elèves (CNRBE ) écrit à Vincent Peillon

lundi 21 mai 2012


Le Collectif vient d’adresser un courrier au nouveau ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon pour lui demander d’intervenir sérieusement sur la question des fichiers scolaires, surtout suite au dernier répertoire (RNIE) créé par son prédécesseur avant que n’intervienne l’alternance politique du 6 mai dernier. Ce courrier lui a été adressé avec notre analyse juridique du 14 mars dernier.

"Monsieur le Ministre de l’Education Nationale,

Depuis plusieurs années ont été mises en place dans notre pays, sous l’égide du Ministère de l’Education Nationale, des procédures de traçage informatisé effectuant des compilations de données personnelles des élèves, des étudiants et de leurs proches, et ouvrant la porte à tous types de croisements échappant au contrôle démocratique. Ces fichiers, dont Base élèves 1er degré et la Base Nationale des Identifiants Elèves (BNIE), ont pour la plupart été conçus et renseignés sans aucune information préalable et en dehors de tout débat parlementaire – parfois même hors de tout cadre légal – et posent de graves problèmes pédagogiques, juridiques, philosophiques et éthiques.

Ces fichiers sont mis en oeuvre au prétexte de faciliter la gestion des élèves et à des fins d’études statistiques. Or leur caractère indispensable pour le bon fonctionnement de l’école n’a jamais été démontré. Les données chiffrées anonymes sont suffisantes pour la gestion des effectifs des écoles, et le travail par échantillons ou panels est une garantie pour la qualité des études statistiques et pour les libertés individuelles.

Depuis plus de trois ans maintenant, des fonctionnaires d’État, enseignants, directeurs d’écoles, se dressent contre ce fichage généralisé de l’enfance, au risque de se voir lourdement sanctionner. De nombreux parents d’élèves partout sur le territoire, réclament l’abandon de ce système, portent plainte au pénal, au tribunal administratif, et saisissent le doyen des juges d’instruction. Des syndicats d’avocats, de magistrats, d’enseignants, des fédérations de parents, la Ligue des Droits de l’Homme… ont témoigné de leur souhait de voir stopper cette grave atteinte aux valeurs qui fondent notre république. Ils sont rejoints en ce sens par un nombre croissant d’élus et de collectivités territoriales, comme le montrent les nombreuses motions votées ces derniers mois par des mairies, conseils généraux et conseils régionaux.

Ces fichiers, et Base élèves en particulier, ont été dénoncés en juin 2009 par le Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies comme remettant en cause le principe de confidentialité, le respect de la vie privée, et le droit à l’éducation. Le Comité a recommandé notamment à la France que “seules des données anonymes soient entrées dans des bases de données, et que l’utilisation des données collectées soit réglementée par la loi de manière à en prévenir un usage abusif.”

En décembre 2009, trois Rapporteurs spéciaux des Nations Unies sont intervenus auprès de la France, pour que soient levées les sanctions (retraits de salaire, retraits de poste de direction, mutations d’office) prises à l’encontre de plusieurs directeurs d’écoles qui refusaient de renseigner le fichier Base élèves, reconnus à ce titre « défenseurs des droits de l’homme menacés en raison de leurs activités en faveur des droits de l’enfant », sans résultat.

En juillet 2010, le Conseil d’État a rétabli le droit d’opposition des parents au fichage de leur enfant et confirmé l’illégalité de tout rapprochement ou mise en relation de données de Base élèves avec d’autres fichiers. Or depuis, l’administration refuse systématiquement toutes les demandes de parents en ce sens. Elle multiplie par ailleurs les interconnexions de Base élèves avec de nouveaux fichiers, usant de simples déclarations modificatives adressées à la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés. C’est ainsi que dès cette année, en couplant Base Élèves 1er degré, le Livret Scolaire Numérique (LSN) et le Livret Personnel de Compétences (LPC), l’État met en place silencieusement le fichage des compétences de tous les citoyens, dès l’école et tout au long de la vie.

Le dernier fichier en date, le Répertoire National des Identifiants Élèves (RNIE), a été créé par un simple arrêté le 16 février dernier. Ces identifiants (INE), générés automatiquement lors de la première inscription dans Base élèves, immatriculent chaque enfant dès l’âge de trois ans et sont introduits dans la plupart des fichiers scolaires, qu’ils permettent d’interconnecter facilement les uns avec les autres. Cette immatriculation permet de mettre en œuvre des procédures automatisées échappant à tout contrôle (notamment pour l’orientation) et organise un véritable traçage des élèves, ouvrant la porte à toutes les dérives. À terme, ce traçage pourra être utilisé pour restituer à volonté, jusque dans la vie professionnelle, toute la vie scolaire et étudiante d’un enfant, le privant ainsi du droit à l’oubli prévu par la Loi Informatique et Libertés.

Devant le peu de cas fait par vos prédécesseurs des recommandations du Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies, du rappel à la loi adressé à la directrice des affaires juridiques du ministère par le parquet de Paris, du jugement du Conseil d’État du 19 juillet 2010, et devant le développement exponentiel des fichiers mis en place par le biais de l’école ces dernières années, plusieurs membres de notre collectif ont adressé le 14 mars dernier une mise en demeure aux Ministres de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et de la Vie Associative, et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Nous ne doutons pas que le gouvernement auquel vous appartenez aura à cœur de mettre en œuvre une politique respectueuse des droits de l’enfant qui passera par l’abandon du vaste édifice de fichage mis en place par vos prédécesseurs, comme l’a annoncé M. Bruno Julliard lors d’une réunion publique à Saint Etienne le 16 mars dernier : “Le fichage mis en place par la droite avait été accompagné de sanctions lourdes pour les enseignants courageux qui avaient refusé de le pratiquer. Nous ne pouvons accepter ce fichage qui n’a aucune visée pédagogique : nous reviendrons dessus.”

Ainsi, nous vous appelons :

• À abandonner l’ensemble des fichiers mis en place à l’Éducation Nationale (Base Élèves, BNIE, RNIE, Sconet, Siecle, Affelnet, Admission post-bac, …) et l’immatriculation des enfants par l’attribution d’un numéro identifiant national (INE).
• À supprimer le Livret Personnel de Compétences (LPC) et tout dispositif numérique permettant une traçabilité des résultats et des parcours scolaires.
• À faire en sorte que les informations nominatives ne sortent pas des établissements scolaires, garantissant ainsi une réelle protection des données, le droit à l’oubli et la préservation du lien de confiance entre les familles et l’école.
• À considérer, dans toute chose le concernant, l’intérêt supérieur de l’enfant et à écarter tout dispositif qui lui porte atteinte, comme l’impose la ratification par la France de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.
• À lever toutes les sanctions prises à l’encontre des directeurs d’écoles qui refusent et ont refusé d’enregistrer des enfants dans Base Élèves, que ce soit pour s’opposer à ces dispositifs de fichage conformément à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ou pour respecter le droit d’opposition des parents rétabli par l’arrêt du Conseil d’État du 19 juillet 2010, et à faire en sorte que plus un seul enseignant ne soit sanctionné à l’avenir pour avoir refusé de ficher ses élèves.

Nous souhaitons vous rencontrer afin de débattre de ces questions. Nous sommes à votre disposition pour tout renseignement complémentaire et vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en notre attachement à la défense des droits et de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le Collectif National de Résistance à Base Élèves (CNRBE), le 16 mai 2012"


Voir en ligne : http://retraitbaseeleves.wordpress.com/